Par Jean François ANDRE (D.E de Plongée sous marine, Trainer Trimix TDI, PADI)
L’OPI , l’OAP ? Quesako ?
C’est l’oedème pulmonaire d’immersion.
En tant que plongeur autonome ou encadrant, suis je concerné ?
Avant toute chose, lisez ce récit : Une belle journée s’annonce, une mer Méditerranée d’un beau bleu clair, un calme impressionnant. le mistral se lève légèrement. Température un peu fraîche tout de même : 15° en surface, mais rien d’anormal pour un mois de Mai.
J’encadre 3 personnes pour cette plongée dite classique et en aucun cas technique. Nous prévoyons une plongée facile. Il y en a pour qui c’est une réadaptation, donc nous ne prévoyons pas de grands fonds, juste 40/50 Minutes à 20m, une plongée dans la courbe Air, bien que nous soyons aux mélanges en recycleur.
On retrouve les blagues habituelles pour ceux qui reprennent, « Le néoprène » a encore rétréci cet hiver, c’est dingue …
Robert (on l’appellera robert pour l’occasion, bien que je n’ai rien contre les Robert, mais il faut bien mettre un prénom et je ne souhaite pas mettre le vrai), est déjà en transpiration, et n’arrive toujours pas a rentrer dans sa semi-étanche. A force d’aide, tout finit par rentrer et la combinaison est fermée.
Il respire difficilement, en émettant un petit sifflement à l’expiration, qui se calme quelques minutes après. C’est vrai qu’à presque 70 ans, après une vie de travail bien remplie, il est bien usé notre Robert.
Amoureux de la plongée, il a tout fait, Brevet d’état, Moniteur Padi, Actif au sein d’un club associatif. etc c’est un passionné.
Bref, une fois tout le matériel préparé, nous partons en mer pour cette plongée de réadaptation.
Nous ne plongeons jamais sans sécurité surface, donc Gérard qui pilote, restera sur le bateau, pendant la durée d’immersion et nous aidera aussi à récupérer les Bail out des recycleux. C’est tout de même plus pratique que de remonter à bord avec.
Le site choisi est à l’abri du Mistral, car ça souffle quand même pas mal. Mais nous savons que le mistral ne concerne que la surface, en dessous ce sera calme.
La plongée débute classiquement, l’immersion ne pose pas de soucis, et nous voilà partis. Effectivement en dessous un calme parfait, aucun courant.
Je remarque tout de même que Robert y va doucement, plus doucement que d’habitude. Il s’arrête régulièrement, comme pour reprendre son souffle. Il est en recycleur, je ne peux pas voir s’il s’essouffle, il n’y a pas de chapelet de bulles. Je lis ses données de plongée en me rapprochant, histoire de vérifier si sa machine est bien opérationnelle. Il n’y a pas de raison, nous avons tout vérifié avant au sec.
Tout est effectivement parfait. Tout semble être normal maintenant que nous sommes sur notre profondeur maximale prévue 20m.
Je décide néanmoins de réduire le temps de plongée initialement prévu, nous retournons au bateau tranquillement.
Nous sommes à 100m de l’embarcation, à une quinzaine de mètres de profondeur et je sens que cela va tourner au vinaigre : Robert n’avance plus. Nous venons de remonter dans la zone des 10m, pour finir la plongée, il me fait signe « ça ne va pas », tout en prenant le détendeur de son Bail out, pensant que c’est le recycleur qui est hors service. Mais là, ça ne s’arrange pas du tout, encore pire. Il étouffe et n’arrive plus à respirer.
Comprenant la situation, je fais une assistance rapide afin qu’il ne perde pas le détendeur et éviter la noyade. Nous n’avons aucun palier, on peut faire surface.
Nous ne sommes qu’à quelques mètres. Je lui appuie légèrement avec mon coude dans le creux du diaphragme pour forcer l’expiration, même à quelques mètres on peut faire une surpression pulmonaire.
Je le vois bien expirer tout le long de la distance qui nous sépare de la surface et là, c’est encore pire, plus moyen de respirer, de la «bave» rosée coule aux commissures de ses lèvres, et après un gros râle, Robert perd connaissance. Je le tracte rapidement au bateau, ou Gérard m’attend.
Remonter environ 100 Kg totalement détendus à l’échelle, n’est pas une simple affaire. Je décapelle et déséquipe Robert, pendant ce temps Gérard a déjà préparé l’Oxygène, il ne reste plus qu’à remonter Robert. Bien fâché, j’arrive à le monter en le prenant sous ses cuisses et en le projetant sur le plancher du semi rigide. Nous ne sommes pas en exercice, il faut faire vite.
Une fois à bord, je lui ouvre sa semi étanche sans ménagement, l’allonge et lui met le masque à oxygène.
Il est gris, il a le visage sans expression, bien que décidé à faire le maximum, je suis assez pessimiste. Mais il ventile, Quelques petites claques, une voix forte pour le faire réagir, et après quelques minutes qui m’ont semblé bien longues, le visage reprend une couleur rosée, et encore quelques minutes, une main se lève avec le signe OK, et les yeux se rouvrent.
Tout n’est pas gagné pour autant, mais ça a l’air d’aller mieux. On rentre au port qui se trouve à quelques minutes de navigation, un VSAB de Pompiers a été appelé, ils sont là lorsque l’on arrive, Robert est bien fatigué et la respiration n’est pas au top, rien que de marcher quelques pas, il est de nouveau essoufflé.
Sous oxygène, pendant une petite heure, toutes les constantes sont bonnes, les pompiers lui proposent de l’emmener pour faire une analyse un peu plus poussée, il refuse en signant une décharge et en repartant chez lui en voiture. Je lui donne tout de même un bloc d’oxy avec un détendeur, puisqu’il ne veut rien entendre.
Tout se finira bien, pas besoin d’oxygène sur le retour, les visites chez le pneumologue, et autres médecins spécialisés ensuite n’ont rien donné, et cet «incident» est mis sur le dos de l’âge et de la condition physique pas au top à ce moment là.
Que s’est-il passé ?
Pour moi, qui encadre et forme journellement, Non, cela ne peut pas s’arrêter là. Je sais que ce n’est pas une surpression pulmonaire, bien que les symptômes soient assez proches. J’ai assisté dernièrement à des conférences médicales, parlé avec pas mal de médecins de l’hôpital de St Anne à Toulon et de Pasteur à Nice, pour moi c’est un oedème pulmonaire d’immersion et je veux comprendre un peu mieux le principe et que faire.
Pour commencer, je parle avec le principal intéressé. Robert, m’a appris une heure après le départ des pompiers que, je le cite «ça devait arriver»…!? C’est à dire ?
En Fait, Robert m’avoue avoir une insuffisance cardiaque et pulmonaire, un peu de cholestérol, un peu de diabète, être un peu en surpoids (ça je savais), être en ce moment stressé par sa vie professionnelle, être trop serré dans sa combinaison (je le savais aussi), ajoutons à cela de l’eau fraiche. Et le tout bien médicalisé par une « tonne » de médicaments pour essayer de réguler tout ça.
Mais je le précise, il a un certificat médical de non contre-indication à la pratique et enseignement de la plongée sous marine en bonne est due forme.
Décision de ma part depuis ce jour là : Auparavant, Je faisais remplir une simple fiche d’identification à tous les plongeurs, avec copie des documents indispensables.
Dorénavant, j’y ai ajouté un formulaire ou je pose des questions que je peux caractériser d’indiscrètes sur l’hygiène et l’historique de leur vie. Libre à eux d’y répondre ou non, mais au moins j’aurai fait mon devoir et j’aurai une preuve comme quoi je me suis renseigné sur l’état réel de mes élèves.
Pas question de juger ou de faire le procès de Robert dans cet article. Mais sans être au courant de ce qu’est un OPI je n’aurai peut être pas correctement réagi.
Analysons un peu avec le recul
Nous avions un plongeur stressé, en surpoids, dans une combinaison serrée, une eau fraiche, arrivant sur ses 70 Ans (Je ne dis pas c’est vieux), Hypertendu, avec des soucis pulmonaires, et une condition physique médiocre. Et j’en passe.
Et pourtant, une plongée dans la courbe Air, avec un mélange suroxygéné, sans courant, a failli être sa dernière plongée.
Hé oui, en analysant, nous avions là quasiment, tous les facteurs favorisants de l’oedème pulmonaire d’immersion.
Sans entrer dans des détails médicaux de fonctionnement très poussé, expliquons le principe de fonctionnement de l’OPI et de ses conséquences.
L’OPI a été « découvert » dans les années 1989 par WILMSHURST, un premier cas mortel décrit à Brest en 2005 par Cochard. Pas de recul important sur ce type d’accident.
Il n’est pas nécessaire d’avoir des problèmes de santé au préalable pour un faire un OPI, toute personne saine peut y être confrontée un jour.
Un cœur fonctionnant parfaitement en surface, peut dysfonctionner sous l’eau. La pression de l’eau peut le dérégler. Uniquement le fait d’être immergé peut le déclencher.
A mon avis, de nombreux OPI sur les années précédentes ont été considérés comme des accidents cardiaques, parce que ce phénomène était méconnu.
Au début seul le froid, l’effort et le fait d’être immergé étaient considérés comme les seuls facteurs aggravants, mais depuis quelques années, quelques Médecins hyperbares se sont penchés sur ce sujet, comme (entre autre) le Docteur LOUGE de St Anne (Toulon). Cela peut concerner toutes personnes immergées, pas systématiquement le plongeur, mais aussi un nageur, un apnéiste.
Le principe
L’échange gazeux tel qu’on le connaît ne se fait plus. Notre corps n’est plus alimenté en oxygène, car nous sommes en train de nous noyer avec notre propre sérum ou plasma.
C’est en fait un processus qui ne fonctionne plus. Lors de votre formation de plongée, vous avez appris que vos alvéoles au contact des capillaires permettent «l’alimentation» de l’organisme en oxygène et l’évacuation des gaz néfastes.
Dans le cas de l’OPI, tout se passe relativement bien au «fond » grâce à la pression à laquelle votre corps est soumis, (il y a au moins equipression alveo-capillaire).
C’est lors de la remontée, avec la baisse de la pression absolue que le phénomène se déclenche, et au lieu que vos alvéoles aient une pression supérieure à celle de vos capillaires, c’est l’inverse, vous amorcez un processus de noyade avec votre plasma. C’est exactement le même principe qu’une noyade, mais interne.
La difficulté pour respirer augmente, quand vous allez vers la surface. Car en simplifiant, plus vous remontez, plus vous diminuez la pression et plus vos alvéoles se gorgent de votre plasma.
Une fois en surface, cela peut se limiter à une petite toux, liée à une légère difficulté à respirer, jusqu’à de la mousse rosée au commissures des lèvres et l’impossibilité de respirer.
On pourrait penser qu’une fois là, les soucis s’arrêtent. Non, ce serait trop simple.
En surface, il ne faut plus que le plongeur concerné fasse d’effort. Le cœur ou plus exactement une partie du cœur (myocarde) se trouve en hypoxie. Le moindre effort supplémentaire peut dans certains cas provoquer un arrêt cardiaque. Il faut le déséquiper dans l’eau, pour que l’accès au bateau se fasse le plus facilement possible. Ensuite plus d’effort. La raison ?
La seule façon à ma connaissance, de connaître les dégâts d’un OPI, est de faire une échographie du cœur le plus rapidement possible.
Dans les cas ou les personnes qui ont été évacuées et suivi par un médecin hyperbare qui a procédé à cet examen, il est apparu une faiblesse cardiaque, pouvant continuer sur les 24-48 heures qui suivent.
Le cœur (myocarde) est en hypoxie lors de l’OPI, le temps qu’il reprenne son rythme et fonctionne à nouveau au maximum de ses capacités, ce délai peut aller jusqu’à 48 Heures et nécessiter une assistance sous oxygène. Donc aucun effort et une surveillance s’impose après.
Un bilan à ce jour (non exhaustif)
Au vu des analyses et statistiques connues actuellement (Source HIA St Anne, Dct LOUGE), nous pouvons penser à ce jour qu’il n’y a:
– Pas de différence significative entre Homme ou femme (Avec une majorité d’hommes tout de même).
– Pas de tranche d’âge bien particulière. (De 25 à 64 ans).
– Que les principaux facteurs favorisants seraient : (bien que des sujets hyper sportifs aient été touchés) :
- Le Stress
- Le Froid (vasoconstriction)
- La mauvaise condition physique
- L’hypertension
- Le Cholestérol.
- L’effort (capelé en état de stress pour rejoindre un bateau)
- L’appareil respiratoire en plongée qui augmente l’effort respiratoire (Détendeur et recycleur)
Le service hyperbare de St Anne, Entre 2007 et 2010, L’OPI rassemble 10% des accidents de plongée. C’est beaucoup. (Source : Dct LOUGE).
Le principal inconvénient de ce problème, est que ce dernier est récidivant et qu’à priori , il n’y a pas de traitement.
Que pouvons nous faire ?
Une des conduites proposées à tenir, pour les encadrants et plongeurs autonomes.
Ceci n’est pas un article médical, c’est uniquement un partage d’expériences de terrain, qui peut permettre éventuellement de sauver des vies, ou voir prévenir avant l’accident.
Inquiétez vous, si un de vos plongeurs à une toux répétée et que cela récidive fréquemment sans raison apparente, et surtout si cela apparaît sur les fins de plongées en remontant.
Souvenez vous combien de personnes dans vos diverses palanquées, vous ont dit, «c’est bizarre, je crache un peu de sang, presque à chaque plongée en surface», ou à combien de vos plongeurs avez vous dit «Tu ferais bien d’arrêter de fumer, tu as vu comme tu tousses à la fin de la plongée ?».
Et les réponses, toutes faites «tu as du te mordre un peu la langue»… etc. Ce que nous pensons être effectivement le cas, peut être par méconnaissance.
Je suis beaucoup plus attentif aujourd’hui à ces petites phrases à priori sans importance.
Un autre plongeur (plus inquiet), avait pris rendez-vous chez un pneumologue, et cardiologue à l’issue de plusieurs plongées ou à la fin, il crachait légèrement rosé. Les examens se sont faits dans la semaine suivante, Rien, pas de soucis, aucune trace, aucun problème.
A priori normal, il aurait fallu faire cela beaucoup plus rapidement. Et peut être aller en premier voir un médecin hyperbare qui aurait piloté les examens à faire plutôt que des spécialistes des poumons non plongeurs ? Il est malheureusement décédé quelques mois plus tard d’un problème cardiaque… Sans plomber l’ambiance, n’y a-t’il pas un rapport entre ce qu’il disait et ce qui c’est passé ensuite ? Je ne peux m’empêcher de me poser la question. Aujourd’hui, je l’enverrais consulter un médecin hyperbare.
La responsabilité des patrons de centres de plongée et des encadrants est actuellement en France la plus sévère. Il est important de travailler conjointement avec les services des urgentistes, des médecins hyperbares et autres personnes intervenant lors des accidents afin de faire de l’information aux encadrants et autres acteurs de la plongée française. Des réunions sont organisées annuellement à Toulon avec tous les services et protagonistes de l’activité sous marine du Var, et c’est très bien. Il faut être informé.
La plongée sous marine est une activité merveilleuse qui se démocratise, et le paradoxe c’est qu’elle est souvent associée à la fête entre copains, ce qui est incompatible avec une pratique sérieuse de celle-ci. En plus la population française de plongeurs «profonds» à l’air est vieillissante, et donc à mettre sous «surveillance» pour leur plus grand bien et aussi pour celui des encadrants. Car en France la décharge de responsabilité n’existe pas et s’il arrive quelques choses dans votre palanquée, il faudra vous expliquer que vous soyez encadrant ou dans une palanquée de plongeurs autonomes.
Formez vous, posez et posez vous les bonnes questions, n’acceptez d’emmener des personnes que si vous êtes entièrement en accord avec le Directeur de Plongée et en sachant qu’ils sont sous votre entière responsabilité tant que vous êtes sous l’eau.
Je conçois qu’il soit désagréable de s’entendre dire «écoute vu ton état, on va limiter la plongée à 20 mètres», il y a sans doute une façon de faire et dire plus respectueuse et d’adapter les sites à la personne, sans être forcement désagréable. Mais il ne faut pas les mettre et se mettre en danger, parce qu’ils ont des cartes de niveaux et des certificats médicaux de non contre-indication à la plongée. Enfin, comme dit l’autre, c’est mon avis…
Remerciement à tous les médecins hyperbares qui travaillent sur tous ces incidents, notamment les équipes des Docteurs LOUGE de l’hôpital de St Anne, Dct KAUERT de Pasteur à Nice, Dct CONSTANTIN à Paris. Et tous les autres que je ne connais pas.
Et à tous les encadrants qui partagent leur expériences sans tabou, afin de faire avancer la prévention.